Picasso transforma un guidon et une selle de vélo en une tête de taureau. C’est une trouvaille d’impact qui produit une forme d’une force instantanée.
Les œuvres de Afrânio Fonseca sont plus subtiles. Il y a une forme générale, dont le sens vient parfois avec l’aide du titre. Elle est toute blanche – avec de rares exceptions. L’unification par le blanc brillant et précieux accentue l’aspect général. Elle oblige encore plus le spectateur à s’approcher pour découvrir l’élément constitutif, petit, et qui n’a pas perdu son identité.
Prenons son Manneken-Pis, l’oeuvre notable que, avec raison, la ville de Bruxelles a acquis. Le Manneken-Pis original est une sculpture en bronze du XVIIème siècle, qui est devenu le symbole de la capitale belge, sympathique et plein d’humour.
Le principe de récup’ fonctionne pour la création, comme pour les surréalistes, comme pour Picasso. Afrânio Fonseca a trouvé dans une poubelle, à Bruxelles, où il vit, une copie cassée, en ciment, du petit garçon qui fait pipi.
Il déambule aussi sur le marché aux puces, dans le quartier des Marolles, à Bruxelles, parce que, à la fin, les vendeurs abandonnent sur la place tout ce qui est cassé et ne sert plus. Il a ensuite recouvert la sculpture en ciment avec ces morceaux de vaisselle cassés. Les anses des tasses suggèrent les boucles des cheveux et un bibelôt en forme de cygne joue le rôle du petit zizi qui définit l’œuvre originale.
Ou prenons ce fabuleux Quindim, rhinocéros à la pose languide d’une extravagante Marilyn Monroe, ou d’un pas moins languide Esclave de Michelangelo, avec le bras gauche vers le haut et sur lequel s’appuie la tête. Quindim est le nom avec lequel Emília a baptisé le rhinocéros qui apparaît dans la Ferme du Pic à bec d’ivoire (O Sítio do Picapau Amarelo, un conte traditionnel Brésilien) : un rhinocéros aimable et doux. De loin, l’œuvre provoque un fort impact. Nous sommes, encore une fois, invités à nous rapprocher pour déchiffrer l’enchevêtrement d’objets merveilleux qui composent sa carapace.
La Venus Dada, tellement délicate, incorpore une bouteille de force phallique ; le Berceau se propose comme allégorie du processus de recyclage, s’associant à la maternité, à la fécondité de la vie humaine ; la merveilleuse Petite Fille s’inspire de Velazquez et va beaucoup plus loin ; un puissant Beethoven, et le Philosophe Rêveur, le Poète Surréaliste… Je ne les cite pas toutes car elles sont, toutes, admirables.
Je ne sais si c’est parce que Afrânio Fonseca vit en Belgique que ses œuvres possèdent autant du surréalisme tellement génial et avec humour que ce pays a su créer. Ses œuvres se situent entre l’innocence de l’enfance et la fantaisie des possibles, qu’il invente avec génie et avec le sourire.
II
La
remière évocation qui survient en moi à partir de l’art élaboré par Afrânio Fonseca, c’est celle des « Ambiances Visionnaires », du Facteur Cheval ou de Pique Assiette. Mais c’est une relation immédiate et limitée. S’il est possible de lier, sans rupture, les palais idéaux qu’ils construisirent au génie de Gaudi, ou à l’Art Brut, dans le cas de Afrânio Fonseca ces affinités surgissent seulement au début du procédé génétique créateur.
Les points communs résident dans la récupération de restes de carrelage et leur emploi pour le revêtement de surfaces. Mais, chez ces visionnaires, la démarche empirique et accumulatrice est prédominante. Sans conter que, dans leur cas, il s’agit non pas de sculpture, mais d’architecture transfigurée par le travail obsessif.
Sans doute serait-il possible de faire un rapprochement entre Afrânio Fonseca et les Merzbau et Merz Bam, à cause du délicat sentiment d’harmonie et de beauté abstraite que Kurt Schwitters a introduit en eux. Mais, de nouveau, la pulsion accumulatrice crée divergence, ainsi comme le sens de recouvrir un espace. Et également que, dans le cas de Schwitters comme dans celui des naïfs, l’élément de carrelage récupéré perd sa signification originale.
Car les œuvres de Afrânio Fonseca sont des sculptures, ce sont des objets qui rencontrent leur logos et leur vie propre, contenue en eux-même. Ils procèdent d’intuitions mentales préalables qui minimisent l’empirisme et associent le matériau, non par le processus de simples additions ou combinaisons fort immédiates. Le lieu des éléments obéit à une stratégie de re-signification qui n’est pas le fruit d’un geste répétitif ou automatique, garanti par la croissance quasi infinie. Ceci parce qu’ils sont guidés par des intentions signifiantes.
En ce sens, il est pertinent d’évoquer les peintures d’Arcimboldo, dans lesquelles un poisson peut à la fois être un nez. Mais Arcimboldo se limite à un jeu ambivalent des formes. Ceci est un poisson. Ceci est un nez. Ceci n’est pas une pipe.
Dans le domaine de la peinture, Arcimboldo, tout comme Magritte, peuvent jouer avec le fait que rien n’est ce qu’il représente. Dans le cas des œuvres réalisées par Afrânio Fonseca, l’ambiguité est plus grande. Une tasse est encore une tasse, même si elle s’est transformée en une oreille.
Avec cela, la richesse de facto du matériau élémentaire employé s’affirme, pendant qu’il participe et constitue de la perception majeure. Une tasse est une tasse et est une oreille.
Jorge Coli
Professeur invité par le service des Relations Internationales de l’Université Paris 1 Panthéon-
Sorbonne, il est spécialiste de l'histoire de l'art brésilien du XIXe siècle. Également fin connaisseur de l'art français du XIXe siècle.
Contact: afraniomosaics@yahoo.com.br